Exodus saharien pour des centaines d'Africains
Par Samuel ARANDA (AFP) http://info.france2.fr/monde/14534058-fr.php#para14674326
Plusieurs centaines d'émigrés africains, affirmant avoir été déportés par les forces de sécurité marocaines, croupissent en plein désert, sans eau, ni nourriture, souvent blessés, près du petit village d'El Aouina-Souatar à la frontière maroco-algérienne, a constaté samedi un photographe de l'AFP.
Maliens, Camerounais, Gambiens, Nigérians, Congolais, Sénégalais, Ivoiriens, Guinéens, ils affirment avoir été conduits de nuit il y a environ une semaine, en autobus, dans ce recoin désertique, et abandonnés à leur sort par les forces de sécurité marocaines. Ils appellent désespérément au secours.
Selon leurs témoignages, ils avaient d'abord été raflés aux abords des enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta, dans le nord du Maroc, mais aussi dans d'autres villes du Maroc, notamment Rabat, la capitale.
Ils seraient au total entre 1000 et 2000 d'après leurs dires, regroupés près d'El Aouina-Souatar mais aussi éparpillés à proximité, dans le désert.
Autour de ce village voisin de l'Algérie qui leur interdit tout accès, ils déambulent livrés à leur sort. Certains sanglotent, se tiennent la tête entre les mains.
"On est dans le trou. On ne sait pas où aller. Les femmes sont malades. L'Algérie refuse de nous laisser entrer. La première ville (marocaine) Oujda est à 500 km", témoigne Koné Siaka, un Malien, âgé de 31 ans, interrogé au téléphone par l'AFP depuis Madrid.
Il supplie : "Par pitié, appelez l'ONU (Organisation des Nations unies), l'OUA (l'Union africaine), l'Union européenne! On va crever!" Puis soupire: "J'ai honte pour l'Afrique..."
A proximité, trois Guinéens atteints de malaria gisent sur le sable. "Ils ne bougent plus. On dirait qu'ils sont en train de mourir", rapporte le photographe de l'AFP.
D'autres font la queue, des bouteilles en plastique vides à la main pour quémander de l'eau à l'entrée d'El Aouina-Souatar, un hameau d'une cinquantaine de maisons pourvu de quelques commerces. Mais les forces de l'ordre marocaines les empêchaient samedi matin d'entrer dans le village, selon le photographe de l'AFP.
Ce groupe d'au moins 500 immigrants clandestins en perdition a été localisé jeudi soir par une petite équipe de Médecins sans frontières (MSF) qui ne dispose sur place que de deux véhicules et de moyens dérisoires.
Une poignée de ces réfugiés portaient des survêtements de l'armée espagnole, comme ceux que l'on distribue aux clandestins qui ont réussi à passer à Melilla et Ceuta. Ils disent avoir été expulsés manu-militari vers le Maroc par la garde civile.
Les membres de MSF ont eux aussi affirmé que ces émigrants emmenés en plein désert par les Marocains avaient d'abord été expulsés par les Espagnols de Ceuta et Melilla, en toute illégalité. "Il y en a beaucoup qui sont morts dans le désert", affirme l'un des émigrants, Koné Siaka.
Le responsable espagnol de MSF sur place, Javier Gabaldon, a indiqué samedi matin aux médias espagnols ne pas encore avoir vu de cadavres. Il est parti dans la matinée sillonner le désert à la recherche de morts éventuels.
Partout, beaucoup de blessés. Certains se sont écorchés en tentant de passer les doubles barrières métalliques hérissées de barbelés séparant le Nord du Maroc des enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta. D'autres, aux pieds ou aux jambes fracturés, disent avoir été "bastonnés" par les Marocains.
Foujemi Fadiga, un Malien de 21 ans, présente deux impacts de balles, l'un à dix centimètres sous la poitrine, l'autre dans la jambe droite, a constaté l'AFP. "Quand les Marocains nous ont débarquésdes autobus, ils nous ont frappés et ont tiré. J'ai été touché", affirme-t-il.
Le Malien Koné Siaka explique avoir été conduit ici de nuit il y a six jours dans un convoi de 13 autobus des forces de sécurité marocaines : "Quand on a vu qu'ils nous débarquaient, on a résisté, on a dit: +Vous ne pouvez quand même pas nous abandonner ici à une mort certaine. Même si on est des immigrants. On a essayé de bloquer leurs bus. Ils nous ont frappés et ils son repartis."
Quant aux Espagnols qui les ont expulsés de leur territoire, un Malien veut savoir: "Ils criaient 'Puto negro!', 'Puto negro !', Ca veut dire quoi en français?", demande-t-il au téléphone à l'AFP. Il a fallu répondre: "Putain de nègre."
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