Jacques Schecroun, président du festival "une autre façon d'aimer", qui aura lieu à Cabourg Vendredi, Samedi et Dimanche et, auquel vous viendrez nombreux j'espère, me fait l'honneur et le plaisir de partager avec vous ces quelques lignes... Il s'agit de la magnifique conférence qu'il a donnée vendredi dernier pour la FF2P.
Ceci pour vous donner une idée de ce qui pourrait être échangé lors du festival....
"Q’est-ce qu’un avocat vient faire au milieu du monde des psy ? Et qui plus est pour parler d’amour ? Vous vous posez la question sans doute, comme je me la suis posée lorsque MM m’a aimablement proposé d’intervenir ce congrès.
M’invitait-il à parler parce que je suis, avec Nicole, mon épouse, le fondateur du festival « Une autre façon d’aimer » dont la 3ème édition aura lieu à Cabourg, le week-end prochain. C’était vraisemblable ou m’invitait-il parce que je suis avocat et qu’en tant que tel, j’ai vu se décliner dans mon cabinet, en plus de trente années d’exercice, toutes les misères et tous les déchirements d’histoires d’amour qui se sont finies devant les tribunaux ? C’était également vraisemblable.
En fait, je me suis dit, qu’en me proposant de parler sur le thème de « l’amour qui n’est pas toujours de l’amour », les organisateurs avaient dans l’idée de me faire partager ce que j’ai pu observer, dans mon exercice professionnel qui, au fil des ans, m’avait conduit à envisager « une autre façon d’aimer ».
Car, forcément, quand on est avocat, on reçoit des gens en détresse ; des gens qui souffrent ; des gens qui appellent à l’aide. Le plus souvent, ils viennent à l’occasion de la rupture d’un lien. Lien conjugal, lien commercial, lien salarial. Et quand on y regarde de près, on se rend compte, que dans la majorité des cas, tout avait pourtant merveilleusement bien commencé. Que ce soit une histoire avec un homme ou avec une femme, que ce soit une alliance commerciale avec un associé ou avec un partenaire, que ce soit une relation de travail avec un employeur ou un employé. Tout allait si bien, avant que, précisément, ça n’aille mal, très mal, vraiment mal, au point de se faire la guerre et de recourir à un avocat pour aller devant un tribunal !
J’ai donc pu observé que quelque soit la nature du conflit, il était, dans presque tous les cas, un épisode, une péripétie, un rebondissement d’une histoire d’amour.
Et j’ai pu observer, aussi, que cette histoire d’amour était étroitement liée à la souffrance que le client venait me confier pour tenter de s’en alléger.
Pas plus tard qu’hier, comme par hasard, Boulevard du Palais, entre le palais de justice et le tribunal de Commerce, à une station d’autobus devant laquelle je passais, une maman hurlait à son gamin que s’il n’était pas sage, elle ne l’aimerait plus et elle s’en irait « Si tu n’obéis pas immédiatement, maman s’en va ! » Et comme l’enfant pleurait, elle lui lâcha « arrêtes où maman ne t’aime plus »
Voilà ce qui se disait au mois d’octobre 2006 en plein cœur de Paris, en tous points semblable à ce qu’on me disait, à moi-même, lorsque j’étais enfant.
Car, l’amour qu’on me donnait, on pouvait me le reprendre, l’amour qu’on me montrait, on pouvait d’un instant à l’autre, m’en priver, l’amour qu’on me disait on pouvait me le retirer. « Tu es vilain, maman ne t’aime plus ! » et la messe noire était dite qui m’obligeait à être sage pour être aimé et qui me faisait croire que l’amour était conditionnel. On m’aimait si je travaillais bien à l’école, si j’étais poli, si je ne mettais pas les doigts dans le nez, si je faisais au pot, si j’arrêtais de bouder, si je mangeais ma soupe, et si, et si, et si et encore si. On m’aimait non en fonction de qui j’étais mais en fonction de ce que je faisais. Et l’on ne m’aimait pas au cas contraire. En sorte que, depuis toujours, et à tout le moins dans mon histoire, - mais quelque chose me dit, un peu aussi dans la vôtre – l’amour s’est trouvé être associé à la souffrance – car c’est souffrance que de ne pas être aimé -, et il s’est trouvé être associé à la culpabilité – car c’est une punition d’être privé d’amour -, et il s’est trouvé être associé à la peur – car c’est panique que de risquer de perdre l’amour qu’on nous donne – et il s’est trouvé être associé au ressentiment – car il y a de quoi en vouloir à ceux qui nous rejètent.
Et ainsi furent scellées de bien curieuses alliances entre amour et souffrance, amour et culpabilité, amour et peur, amour et ressentiment sur les quelles je voudrais m’arrêter un instant.
Amour et souffrance, d’abord. Quel couple incroyable ! Celui des chansons qu’on a tous dans la tête : « je ne peux pas vivre sans toi » « sans toi, je meurs » « il est mort le soleil quand tu m’as quitté ! » et j’en passe et des meilleures que vous connaissez tous et si vous avez oublié, allumez la radio, regardez des séries télévisées, et vous saurez comment l’amour est présenté, le plus souvent, comme une forme de dépendance à l’autre et, par conséquent, et fatalement, comme une souffrance !
Amour et souffrance ! Unis pour le meilleur et pour le pire par l’effet combiné de nos mémoires et de notre éducation.
Amour et souffrance ! Le couple incroyable, mais vrai. Celui que chacun connaît et qu’inconsciemment il va rechercher à conjuguer ensemble. Car, ce n’est pas à vous, Mesdames et Messieurs, que j’apprendrai qu’on recherche inconsciemment ce que l’on connaît, - mieux vaut le connu, même douloureux, que l’inconnu dont on ne sait rien !
D’autant que la souffrance est une valeur sûre ! Avez-vous observé qu’elle appelle la compassion, qu’elle appelle le secours, qu’elle appelle la charité ! Personne ne veut souffrir, sans doute, mais tout le monde veut que sa souffrance soit reconnue, façon, évidemment, dans bon nombre de cas, - pas tous, bien sûr, mais beaucoup, je crois - d’être reconnu soi-même.
Est-ce à dire que l’on serait soi-même l’auteur de ses propres souffrances ? Permettez-moi, pour l’instant, sans répondre à cette question cruciale, à tout le moins de la poser.
J’observerai seulement pour l’instant, mais, sans doute, l’avez-vous fait, vous-mêmes, que les êtres humains ont un tel rapport d’amitié avec ce qu’ils endurent que si l’on organisait un concours pour élire le recordman en la matière, il y aurait une foule considérable de candidats qui viendraient, avec fierté, en disputer le titre.
Ceux d’entre vous qui sont thérapeutes le savent bien. « Docteur, vous ne pouvez pas comprendre ! Vous ne savez pas ce que c’est que de souffrir autant ! Ça se voit d’ailleurs que vous, vous avez été épargné ! ». Tout le monde connaît. Les prétendants à la médaille du mérite de la plus grande souffrance sont pléthore !
Un autre couple formant une bien étrange alliance est celui de l’amour et de la culpabilité.
Vous l’avez compris, à partir du moment où l’amour est donné et où il peut être repris, il est donc conditionné à un jugement, jugement aux termes duquel la sentence pouvait être « privé d’amour ! ». Et cette façon de conjuguer l’amour avec le jugement nous a, bien souvent, servi de modèle pour bâtir nos relations amoureuses. Qui, en effet, élevé dans ce moule, ne se permet pas, en effet, de juger l’autre ?
Juger, il se trouve que c’est une fonction que je connais un peu. A dix-sept ans, je me suis inscrit en faculté de droit parce que je voulais être juge. Evidemment. J’avais souffert d’injustices et je voulais, quelque part, prendre ma revanche en rendant justice moi-même, par application de la règle que qui est jugé s’arroge le droit de juger. Mais quelle illusion ! Et quelle comédie ! La grande comédie humaine ! Plus de trente années de fréquentation des palais de justice m’ont permis d’observer que le statut de victime, respectable au demeurant, présente cette particularité d’être, à la fois, le moins enviable et, en même temps, le plus recherché dans le monde ! Inconsciemment bien sûr. Chaque fois que, pour ma part, j’avais été victime dans ma vie, ce que, bien sûr, je n’avais pas voulu, on s’était inquiété pour moi –quelle félicité !-, on était accouru à mon chevet –quel ravissement !-, on avait considéré ma douleur – quel enchantement !-, on m’avait écouté –quel plaisir !-, on m’avait soutenu –quelle joie !-, et par-dessus tout, et encore une fois, on m’avait reconnu - quel bonheur ! Et si d’aventure celui qui m’avait fait du mal était puni, c’était plus que du bonheur, c’était de la béatitude ! Ephémère, pour sûr, mais béatitude tout de même ! Ephémère comme l’étaient ma félicité, mon ravissement, mon enchantement, mon plaisir, ma joie et mon bonheur. Ephémère comme la soi-disant satisfaction des victimes dont la société entretient le culte en leur faisant croire, à longueur de comptes-rendus d’audience et d’interviews d’avocats, de procureurs et de politiques que la punition des coupables leur ramènera la sérénité! C’est mensonge, évidemment ! Car il en va des victimes qui obtiennent justice comme des pauvres qui empochent le gros lot au loto ; au bout d’un certain temps, il ne leur reste rien de ce qu’elles ont gagné ! Et ce mensonge, ce sont, le plus souvent, les victimes, elles-mêmes qui l’appellent puisqu’elles mettent dans l’embarras tous ceux qui, autour d’elles, ne savent pas comment gérer la situation et qui, face au désarroi sincère qu’elles manifestent, n’ont pas d’autre option que de rentrer dans le jeu du jugement et de la condamnation. Si bien que tout le monde s’accorde sur la nécessité de juger qui fait qu’il faut toujours un coupable. Un avion qui se scratche, un toit qui s’effondre, un téléphérique qui s’écrase, il faut un coupable ! A tout prix ! Et si la justice n’est pas suffisamment ferme pour punir ceux qu’il a bien fallu lui donner en pâture, c’est elle que les victimes jugent coupable.
Et c’est encore sur ce mode que la plupart d’entre nous nous sommes construits, sur le modèle du bien et du mal qui nous fait toujours, au nom de ce qu’on croit être de l’amour, être du côté du bien quand l’autre, fatalement, est du côté du mal.
Et qui nous fait, par voie de conséquence, être plutôt victime que persécuteur, puisque là est le bien et ici est le mal.
Est-ce à dire que nous rechercherions l’état de victime. Là encore permettez-moi, pour l’heure, de me contenter de poser la question et de réserver ma réponse. Car il me faut, maintenant, envisager le couple fameux que forment l’amour et la peur.
Avez-vous jamais observé comme ces deux-là allaient bien ensemble comme deux personnes qui se connaissent depuis toujours.
La peur d’être privé d’amour s’était installée dans ma vie, comme, je le crois, dans celle de bien des bipèdes vivant sur cette terre. Et je la retrouvais exprimée en amont par mes clients qui avaient peur d’être tabassés, peur d’être ruinés, peur de se voir enlever les enfants, peur de ne plus avoir de ressources, peur, peur et encore peur !
Un dénominateur commun du genre humain qui me fait me demander si, d’une certaine façon, les hommes ne se délectent pas à les surmonter.
Tout nouveau né réussit à vaincre la peur de mourir à l’instant même de sa naissance, dès lors que nous avons survécu aux menaces que le ciel nous tombe sur la tête, dès lors, que chaque fois, nous nous en sommes sortis, les peurs ne sont-elles pas finalement comme une sorte de jouissance.
Pour bien me faire comprendre, je vais le dire en m’impliquant moi-même.
Peurs qui m’habitaient, peurs qui me terrorisaient et peurs que je parvenais toujours à terrasser !
Peurs que je connaissais bien et avec lesquelles je savais faire !
Peurs qui me paralysaient et peurs qui me donnaient l’immense bonheur de vous vaincre !
Peurs, on l’a compris, que je briguais !
Oui, peurs, j’ose le dire, je vous recherchais. Inconsciemment, nul n’en doute, mais certainement ; j’en ai, au cours du temps et à force d’exploration du plus profond de moi, acquis l’intime certitude. Vous étiez, parmi toutes les émotions, et de loin, sans doute, ma préférée. Vous remplissiez ma vie. N’est-ce pas d’ailleurs, ce à quoi, les émotions servent ? A remplir la vie ? Et n’est-ce pas parce qu’elles remplissent la vie que chacun se crée des occasions de les vivre?
Peurs, mes terribles ennemies, ne vous ai-je pas, de tous temps, créé moi-même pour savourer ma victoire !
Mes bien chères peurs qui faisiez mon bonheur, et celui d’aimer qui plus est ! Car, tout comme vous, sans doute, Mesdames et Mrs, je me suis raconté des histoires que j’ai appelé des histoires d’amour en les déclinant sur le mode de la peur. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de la perdre, peur d’être rejeté ! Et plus j’avais peur de ce genre de trucs, plus ce que je vivais était poignant, déchirant, dramatique, passionné, et plus je croyais que c’était de l’amour ! Comme dans les feuilletons à deux balles, je mourrais d’amour pour en vibrer, je désespérais pour espérer et j’en passe et des meilleures ; en un mot comme en mille, je conjuguais l’amour comme une dépendance totale à l’autre sans laquelle ma vie ne valait pas la joie d’être vécue.
Et ainsi faisaient aussi en miroir de moi-même, tant et tant de gens venus me consulter et qui avaient donné à l’autre le pouvoir de les rendre heureux.
Illusion aussi, sans doute, qui découle de ce qui précède. J’ai cru, pendant des décennies, voire davantage, et mes clients ont atterri dans mon cabinet parce qu’ils avaient cru, tout comme moi, pouvoir faire le bonheur de l’autre.
Personnellement, j’étais imprégné de stupides histoires de princes charmants qu’on m’avait racontées lorsque j’étais enfant, et magnifique sur ma superbe monture, je voulais faire le bonheur de ma belle. Mais passé la lune de miel, mon cheval blanc n’a plus eu que la piteuse allure d’une vieille Rossinante, voire même de l’âne de Sancho Pança et le château que j’aspirais à construire pour la félicité de ma Dulcinée ressemblait davantage aux moulins de Don Quichotte qu’au palais des mille et une nuits.
En un mot comme en mille, je me suis planté. Je ne pouvais pas faire son bonheur. Ni son malheur. Je pouvais faire le mien, comme ça, je n’avais pas appris, je m’acharnais à faire celui de l’autre. Ca ne marchait, mais je savais faire. Et pendant ce temps, j’avais toutes les bonnes excuses d’éviter l’essentiel. Moi-même.
Et comme ça ne marchait, j’avais un bon prétexte d’en vouloir à l’autre, puisque forcément, si ça ne marchait, ça ne pouvait être que de sa faute. Ou de la mienne. Mais de sa faute ou de la mienne, cela revenait toujours à en vouloir à qq’un. Le couple amour et ressentiment, amour et rage, en est donc un autre à répertorier parmi les alliances curieuses dont je parle.
Si c’est de ta faute, je t’en veux, bien sûr. Et si c’est de la mienne, je m’en veux aussi. Et j’en veux à l’autre, et j’en veux à la Vie et j’en veux à Dieu, et j’en veux au gouvernement et j’en veux au monde entier. Et tous ces gens que j’ai reçues à mon cabinet depuis le jour où je suis devenu avocat, il y a, trente deux ans, presque tous en voulaient à quelqu’un. Et la rage est souffrance, bien sûr ! que l’on s’inflige à soi-même et qu’on inflige à l’autre d’autant plus qu’il est proche ! Et le rage est souffrance derrière laquelle se cache un amour infini qu’on ne sait pas où aller chercher ni comment l’exprimer et le développer. Mon ami Neale Donald Walsch, l’auteur des Conversations avec Dieu, dit avec force et brio « qu’est ce qui te fait souffrir que tu cherches à guérir en m’agressant ? » et je dirais, pour aller dans le même sens, « quel est cette immense recherche d’amour qui te fait m’agresser pour te confirmer que son absence est justifiée ? »
Alors ? dans tout cela, l’alors l’amour tel qu’on nous l’a appris était-il de l’amour ?
Cet amour, souvent possessif, parfois absent, cet amour conditionnel, cet amour qui fait mal, cet amour qui rend mal, est-il vraiment de l’amour ? Dans l’intention, sans doute, car, dans le fond, et à mon sens tout est amour. Et comme point de départ d’une évolution sans doute. Car n’est-ce pas grâce à la conscience de ce qui ne fonctionne pas que ce qui fonctionne peut être mis en place. N’est ce pas à partir de ce qui ne marche pas qu’on peut mettre en place une autre façon d’aimer ?
Un journaliste sur NRJ qui m’interviewait sur ce qu’était une « autre façon d’aimer » me demanda si ce n’était pas utopique.
Mais, qui aurait imaginé, dans les années 60, en pleine guerre froide, que le Mur de Berlin s’écroulerait et, avec lui, tout le bloc de l’est ?
Et qui aurait imaginé, dans l’Amérique des mêmes années 60, où l’arrière des autobus était réservé aux noirs, qu’un jour viendrait où le Secrétaire d’Etat à la Défense et le Ministre des Affaires Etrangères d’un gouvernement, au surplus républicain, seraient des gens de couleur ?
Et qui aurait pu concevoir, jusque même dans les années 80, qu’un jour Nelson Mandela présiderait aux destinées de l’Afrique du Sud ?
Et qui encore aurait pu pensé que l’Allemagne et la France, par deux fois férocement opposés au cours du 20ème siècle, seraient ensemble le couple moteur de la construction européenne.
Et si d’aucuns l’avait imaginé dans ses rêves les plus audacieux, n’aurait-il pas été considéré comme un utopiste ?
Et si ces situations nous démontraient que l’utopie d’hier est la réalité d’aujourd’hui ? Cela ne nous autoriserait-il pas à imaginer que l’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain ?
Aussi, après avoir pratiqué pendant plusieurs décennies l’amour tel qu’on me l’avait appris, tel qu’on me l’avait montré et tel qu’on me l’avait donné puis retiré et donné à nouveau, après en avoir souffert, après avoir expérimenté pendant toutes ces années combien ça ne fonctionnait pas, tant au plan de ma vie qu’au plan collectif, j’ai petit à petit progressé vers une autre façon d’aimer.
Mais, il m’a fallu, pour cela passé par mille et une épreuves qui, à force de ne pas être comprises, à force de revenir avec les messages qu’elles avaient pour moi, à force à de larmes, à force de détresse, à force de découragement, ont fini par se faire entendre.
Et c’est ainsi, en m’observant moi-même, en observant tous ces clients venus pendant toutes ces années me livrer leurs peines, leurs chagrins et leurs espoirs que j’en suis arrivé à considérer que :
Mais oserais-je le dire ?
Oserais-je avancer, énoncer, envisager, ce que, peut-être vous n’avez jamais encore entendu, surtout ceux et celles qui viennent à ce genre de manifestation pour la première fois ? Oserais-je vous proposer mes hypothèses, qui sont autant de champs de réflexion et qui sont devenues mes convictions ?
Car je peux tout aussi bien m’arrêter là.
Comme je peux aller plus loin, si vous m’y autorisez.
Je peux aller plus loin pour vous faire partager qu’à mon sens, et je réponds à la première question posée plus haut, nous sommes, dans la plupart des cas les auteurs de notre propre souffrance. Parce qu’elle est inscrite dans nos mémoires, parce que nous voulons être fidèles à nos parents, parce que nous voulons maintenir ainsi le lien avec eux ou avec d’autres, nous souffrons et nous créons des causes de souffrance qui sont apparemment extérieures, mais que, dans le fond, et en vérité, nous avons nous mêmes attirées.
Une autre façon d’aimer regarde cette situation en face, accepte que nous ne subissons pas notre vie et revendique que nous en soyons les auteurs.
Ce qui passe par l’idée, qu’en définitive, nous ne sommes pas des êtres de répétition mais des êtres de création.
Ce qui passe par l’idée que hasard, chance, malchance ont bon dos quand il s’agit de nier que chacun est l’auteur de sa propre histoire.
Ce qui passe par l’observation qu’aussi longtemps qu’il n’en n’a pas pris conscience et décidé de les dépasser, l’être humain est ses mémoires.
Ce qui passe encore par la constatation du fait que la souffrance a cette fonction, non seulement de rendre présent ce qui est passé et qui n’est plus, mais aussi de punir l’autre en soi pour qu’il ne se croie pas quitte de ses actes.
Et ce qui passe encore par cette évidence si difficile à accepter par les souffrants que nous sommes que rien, jamais, ne se passe sans l’accord de tous les inconscients.
Et qui passe aussi par cette constatation que la culpabilité nous plombe dans le passé, la responsabilité nous propulse vers l’avenir, ou, autre façon de le dire, que la culpabilité paralyse alors que la responsabilité dynamise.
Et qui passe encore par l’acceptation du fait, qu’en définitive, il n’y a pas d’autre abandon que l’abandon de soi-même, il n’y a nul autre manque que de soi, il n’y a pas, non plus, d’autre trahison que de soi puisqu’il n’y a d’infidélité que par rapport à soi.
Et, s’agissant du ressentiment, il s’accorde évidemment mal avec une autre façon d’aimer, puisque aussi bien lorsqu’on a réussi à se départir de tout ressentiment, on est, alors, dans une autre façon d’aimer.
Je voudrais, ici, partager avec vous, que lorsque je suis parvenu à prendre un peu plus l’entière responsabilité de ce que j’avais créé, abolissant, du même coup, la souffrance en moi, une prise de conscience émergea. C’était une approche que je n’avais jamais pu concevoir auparavant, une vision qui était hors de ma forme de pensée, un point de vue qui aurait été inimaginable pendant les quatre décennies que j’avais jusqu’alors, une idée radicalement en marge de la pensée unique qui fait le plus gros de la culture courante et la matière grossière et constante de l’inconscient collectif. Elle me permettait de voir, en effet, que, contrairement à ce que l’on croit généralement, que ce ne sont pas les évènements qui créent le ressentiment mais le ressentiment qui crée les évènements.
C’était bien sûr, pourtant, mon ressentiment était là, gravé dans mes cellules depuis des temps immémoriaux et il lui fallait des occasions, petites ou grandes, pour se manifester qui, à chaque fois, n’étaient que des prétextes.
Inimaginable ! Le ressentiment en l’homme précède ce qui est supposé le causer !
Comme avocat pourtant, j’aurais pu, le constater mille et une fois. J’aurais pu, si j’avais pris le temps de l’observer, voir combien les clients qui voulaient que je fasse mordre la poussière à leurs adversaires avaient, en eux, une rage qui préexistait aux circonstances qui les avaient menés jusqu’à moi. J’aurais pu voir que c’étaient les mêmes qui m’avaient demandé autrefois de ruiner leurs concurrents, qui m’avaient sollicité hier pour en faire voir de toutes les couleurs à leurs conjoints et qui me chargeaient aujourd’hui de montrer à leurs associés, à leurs voisins ou à leurs fournisseurs de quel bois ils se chauffaient. Ce phénomène de répétition aurait pu me mettre sur la voie.
Ainsi, j’avais passé ma vie à créer des évènements qui réveilleraient le ressentiment en moi, qui le feraient s’épanouir, qui lui donneraient du grain à moudre et qui l’alimenteraient. Pourquoi ? Pourquoi cela ? Pourquoi se créer soi-même des épreuves, source de cruelles souffrances et d’abominables tourments ? Pourquoi ? Pourquoi diable cette pourriture était-elle dans le cœur des hommes d’où sortent les desseins pervers et pourquoi, mon Dieu, mettre en œuvre des situations qui l’entretiennent ?
Longtemps la question m’a travaillé qui m’a fait échafaudé plusieurs hypothèses, jusqu’à ce qu’un jour, tel un inspecteur de police au cœur d’une énigme, j’eus le sentiment d’en avoir trouvé la clé. On ne m’avait pas accepté dans mon âme et j’avais, contraint et forcé, renoncé à qui j’étais. Comment pouvais-je ne pas m’en vouloir, quelque part, au plus profond de mon inconscient, d’avoir abandonné ma nature originelle ?
Là était le premier ressentiment, sans doute. Qui ne s’en voudrait pas d’abandonner un nouveau-né ? Qui ne s’en voudrait pas d’abandonner un enfant plein de promesses et plein de grâces ? Qui ? Et n’est-il pas légitime de s’en vouloir, sa vie durant, d’avoir dû se résoudre à un tel abandon, surtout quand l’enfant oublié, délaissé, renié, n’était nul autre que soi ?
Cette découverte de la nature profonde du ressentiment et de la raison pour laquelle les hommes ont tant de mal à vivre sans en vouloir à quelqu’un m’a permis de faire un pas essentiel vers une autre façon d’aimer.
Une autre façon d’aimer qui, délivrée du fardeau de la peur, libérée du poids de la culpabilité, allégée de tout ressentiment, permet de toucher à ce que l’amour est vraiment.
L’amour n’est pas une question de faire, mais d’être.
C’est l’état d’être de celui qui est ouvert à l’autre et au monde dans la transparence et dans la joie.
L’amour est partout, y compris dans ce qui semble être son contraire qui est une forme désespéré d’appel à l’amour.
Car l’amour est notre véritable nature.
L’amour est liberté."
Jacques Schecroun.